vendredi 8 juin 2012

Cela restera un mystère, un secret bien gardé...


photo de Virginie de galzain


 Hiver 1946, ce jour-là, la neige tombait en abondance depuis des jours. Tout le village avait disparu sous cet épais manteau blanc et froid. Chaque jour je bravais ce temps pour aller à l’église et prier ; prier pour être sûr qu’il serait là dans les temps. Notre mariage devait être célébrer la semaine suivante. Puis le jour J arriva. Enfin. La neige avait laissé la place à un ciel bleu mais le soleil ne réchauffait guère ma peau nue sous la robe de mariée. Lui m’attendait à l’hôtel dans son beau costume trois pièces offert par son grand-père. C’était ma mère qui me mena jusqu’à lui, mon père qui aurait dû avoir ce rôle était mort à la guerre, une balle en pleine tête. Fatal. Rien n’aurait pu gâcher ce plus beau jour de ma vie. J’épousais enfin l’homme que j’aimais depuis des années, celui pour qui je pleurais chaque soir dans mon lit pendant qu’il était au front, puis travailleur forcé en Allemagne. Malgré toutes ces épreuves, nous nous sommes retrouvés, et ce mariage était la fondation d’une nouvelle aventure, que l’on mènerait à deux. Nous avions assez économisé pour pouvoir immortaliser cette date et avions fait appel au meilleur photographe de la région. Je voulais que tout soit parfait, avoir assez de souvenirs. Me rappeler de ce jour toute ma vie.

[...]

Le 4 mai 1988, pour mes 62ans, mon mari, mes enfants et mes petits-enfants m’ont offert un cadeau assez original ! Il savait que j’aimais les sensations fortes, du coup, ils se sont cotisés pour que j’aille faire mon premier saut en parachute ! Ce fut une expérience incroyable. Exceptionnelle ! J’avoue, je ne faisais pas la maligne en montant dans le petit avion et tous les bruits me semblaient suspect. Une fois avoir atteint l’altitude requise, il a fallu sauter. J’ai fermé les yeux, pris mon élan avec le moniteur et nous avons quitté l’avion pour entamer une descente vertigineuse, j’étais euphorique, le vent dans les cheveux, je rigolais, imaginant mon visage déformé par le vent. A l’ouverture tout en douceur du parachute, je découvris cette sensation de pouvoir voler, une sensation de liberté total. L’atterrissage se fit en douceur sous les applaudissements de la famille venue assister à mon exploit. Cela méritait bien une bouteille de champagne !

[...]

Parfois la nuit, je me réveillais en sueur, mon corps, mon cerveau tétanisés par la frayeur de le perdre bien des années après cette nuit du 11 novembre 1953. Cette nuit-là, j’accouchais dans la douleur de mon deuxième enfant. Après avoir eu une fille, ce fut un petit garçon qui montra le bout de son nez. Seulement voilà, il avait décidé de commencer sa petite vie un peu trop tôt. Trois mois. Trois mois en avance. Il était tout frêle et maigre, il poussa à peine un petit cri pour respirer. Il fut tout de suite mis en soin intensif, car il était très fragile. Pendant un mois, notre petit garçon resta entre la vie et la mort. Un mois à angoisser, à ne pas dormir, à se relayer à la maternité pendant que l’autre restait auprès de notre fille ainé. Il survécu, et devint un enfant costaud, vaillant et solide, mais dès qu’un des deux tombait malade, je revivais les frayeurs du passé…

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En 2002, mon fils et sa femme étaient partis se faire dorer la pilule pendant deux semaines dans je ne sais plus trop quelle île soit disant paradisiaque, les pieds dans le sable chaud, à l’ombre sous les cocotiers. Il semblerait que c’était génial, fantastique, tellement ils nous ont rabâché pendant des semaines voire des mois ce fabuleux voyage. Oui, mais voilà, pendant ce temps-là,  j’étais de corvée de gardiennage. Certes, à la base je devais juste garder les chiens, et arroser le jardin. Mais c’était sans compter sur mon petit-fils de dix-huit et ma petite-fille de seize ans qui avaient décidés de profiter de l’absence de leurs parents pour se laisser aller, ne rien faire ou organiser une très grosse fête comme j’avais pu le remarquer un matin en venant nourrir les chiens. Déjà dans le jardin il y avait des signes avant-coureurs. Le papier toilette autour de tous les arbres, des gobelets dans l’herbe et même des bombes de couleurs. Je me suis demandé à quoi elles avaient bien pu servir. Jusqu’à ce que je vis les chiens. Du rose, du violet, du rouge et du jaune. Autant de couleurs qu’ils mettront deux jours à enlever du pelage noir des deux labradors. L’intérieur de la maison ressemblait plus à une déchèterie qu’à autre chose. Je crois que c’était la première fois que je poussais une gueulante comme ça après mes petits-enfants.  Le sol disparaissait sous les détritus, il collait, des bouteilles d’alcool gisaient à moitié vide sur le canapé et la cuisine semblait avoir servis de lieu d’expérimentation culinaire. Et je glissai sur l’une d’entre elle, ce qui me mena directement à l’hôpital avec une fracture au bras. D’après ma petite-fille j’avais glissé sur les restes d’un essaie de ratatouille fait à base de concombres, cornichons,  tomates et d’une aubergine suivi d’un accompagnement fait d’un unique macaroni géant d’après mon petit-fils. Je me suis souvent demandé s’ils n’avaient pas aussi fumé des choses pas très légales ce soir-là. Je m’en souviendrais longtemps de leurs expériences. Et eux aussi avec la punition sévère qu’ils gagnèrent au retour des parents.

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L’été de mes 16 ans, restera malgré l’occupation un été spécial, unique, gravé à jamais en moi. Il était rentré depuis peu de la guerre suite à l’armistice de la France, il travaillait pour le forgeron du village afin de se faire assez d’argent pour disait-il, pouvoir m’épouser un jour dignement et que je sois fier de lui. Le travail à la forge était épuisant, d’autant plus en été avec la chaleur combinée des fours et du soleil. J’avais décidé d’aller à sa rencontre un soir à la sortie du travail. Je me souviens que je ne trouvai personne. J’étais assez surprise, d’autant plus que son patron ne travaillait pas. Puis j’entendis un bruit d’eau dans l’arrière cours. Et je le vis. L’amour de ma vie. Nu, l’eau ruisselant sur son corps. C’était la première fois. Ne m’ayant pas vu, je pu prendre le temps de le détailler, et de découvrir ce corps. La lumière orangée du soleil couchant se reflétait dans l’eau coulant le long de son dos qui s’illuminait alors de mille feux. Le travail à la forge l’avait musclé et je me souviens encore m’être perdu dans la contemplation de son fessier. Puis il se retourna, mon corps se paralysa par la honte de l’avoir espionné alors qu’il se douchait. Lui, me regarda surpris, puis rigola. Il attrapa une serviette pour se couvrir et s’approcha de moi lentement. Des années plus tard des frisons me parcouraient encore le corps en repensant à ce moment-là. Il n’avait pas dit un mot. Il a juste posé ses mains autour de ma taille pour me tirer contre lui, il remonta une main le long de mon visage délicatement et il approcha sa bouche de la mienne pour m’embrasser. Bien des fois il m’avait embrassé, mais cette fois-ci était différente, elle annonçait autre chose. Je répondis à son baiser. Il m’emmena vers la caravane où il y avait tout le nécessaire pour dormir, faire à manger, mis à sa disposition par son patron pour l’été. J’étais toute timide. Il recommença à m’embrasser tout en me caressant le corps. Gêné par mes vêtements il commença à me déshabiller lentement, tout en douceur, me couvrant de bisous dès qu’un bout de peau apparaissait d’entre mes habits. Je rougissais devant lui à l’idée de me savoir nue. « Garde tes boucles d’oreilles comme ça, tu seras encore habillé »  m’avait-il dit ça avec un petit sourire amoureux. Me voyant encore un peu timide, il enleva sa serviette et  prit mes mains pour les poser sur ses fesses. Sa peau était douce, il sentait bon. J’osai enfin découvrir chaque coin de son corps. Nous nous allongeâmes sur le petit lit, et nus, nous reprîmes l’exploration de nos creux, de nos peaux. Mes doigts couraient le long de ses bras,  ondulait tel un serpent autour de ses pectoraux musclés, sautaient d’abdominaux en abdominaux tel une grenouille, ma bouche embrassait chaque parcelle de cette peau si douce. Lui n’était pas en reste, ses doigts frôlaient mes seins nus, me procurant des frissons de plaisir, ses lèvres et sa langue partaient à la recherche des parties de mon corps où le plaisir serait le plus fort, où sous la pression de sa langue je m’abandonnais totalement à lui. Ce fut notre première fois, je m’en souviendrais toute ma vie, d’autant plus qu’à l’époque, faire l’amour avant le mariage était plutôt interdit. Mais je ne regrettais rien, tellement nous avions été en osmose, où chaque regard valait mille paroles… Un mois plus tard il fut envoyé en Allemagne en tant que travailleur forcé, nous nous étions promis de s’attendre et qu’à son retour nous nous marierons.

[...]

La vie parfois vous quitte aussi vite qu’un Tampax d’entre vos jambes disait une vieille amie, je n’ai jamais su d’où elle sortait une comparaison de la sorte. Toujours est-il que je n’ai jamais cru les gens qui supposaient que l’on voyait notre vie défiler devant nos yeux quand on mourrait d’une manière brusque. Enfin jusqu’à aujourd’hui. Je n’avais pas prévu de quitter ma petite vie en ce bel après-midi. Mais il en a été autrement. Légèrement violent. Et je les ai vus. Ces moments de ma vie. Plus ou moins important. Ils me sont revenus d’un coup, pour me rappeler que j’avais bien vécu, et que finalement, il était peut-être temps de laisser sa place en ce joli monde. Joli monde quand on sait le voir, si on laisse la haine, la guerre de côté et que l’on apprend à apprécier le vol d’une hirondelle, la brise légère du vent sur votre joue alors que vous vous sentez partir, le sourire de ce bébé si innocent qui ne comprend pas ce qui m’arrive… Même à 86 ans j’ai l’impression de partir un peu trop tôt sans avoir pu dire au revoir. J’espère qu’ils ne m’en voudront pas. Bizarrement, je n’ai pas mal. Mais j’ai un peu froid. Le bruit s’estompe autour de moi, je ne vois plus rien. Je vais enfin savoir ce qui se passe après; le plus grand des secrets de l’humanité; mais ce secret, je l’emporterai dans ma tombe.


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J'espère que vous avez aimé ce petit texte. Le WE dernier, j'ai demandé que mes lectrices d'Hellocoton de me donner chacune un ou deux mots qu'il faudra ensuite placer dans un texte. Les mots à utiliser qui sont sortis étaient les suivants: COCOTIERS, DECHETERIE, PHOTOGRAPHE, VOLER, FRAYEUR, CARAVANE, AUBERGINE, TAMPAX, BOUCLES D'OREILLES, GRENOUILLE, FORGERON, MACARONI, HIRONDELLE
Ces mots que vous avez retrouvez dans le texte que vous venez de lire...

Vous pourrez aussi  retrouver ces mots dans de beaux textes chez:



12 commentaires:

  1. Plume ton histoire est sublime. C'est vraiment un beau récit bien écrit ! j'aimerais te lire plus souvent ! ;) bises :)

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  2. "sautaient d’abdominaux en abdominaux tel une grenouille" !!! MDR fallait la trouver celle-là !! ;D Remarque le macaronis géant n'était pas mal non plus hein !! Wouaw eh bien je vois que vous avez tous beaucoup d'imagination, c'était trop drôle !! Une super idée que tu as eu là, et joli point de vue que celui d'une mamie de 86 ans.

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    1. Pour le macaroni géant, c'est la faute aux petits enfants, ils avaient fumé du shit en grande quantité, et c'est pas bon, ça crée des hallucination ;-)
      content que ça t'ai plu!!

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  3. looool tu m'as fait trop rire quand même !! je file lire les autres !

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  4. Très beau texte, vraiment! Il m'a émue et il m'a fait rire :)
    j'ai adoré le macaroni géant quand même, j'imagine bien la chose!
    ''La vie vous quitte aussi vite qu'un tampax..." j'adore je sens que je la ressortirai un jour!

    Merci pour ces beaux mots ;)

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    1. merci!!!!!!!! Tu sais, je ne crois pas que ce macaroni géant ai existé! ;) ils avaient du fumé!
      content que ça t'es plu... ainsi que la citation fraichement inventé avec le tampax...

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  5. Super sympa le concept de placer des mots dans un texte qui par ailleurs était superbement écrit :)

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    1. merci, enfin, le texte n'est pas superbement écrit j'ai fait plein de fautes de concordance des temps etc.. faut que je corrige :) mais content que tu ai aimé!

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  6. J'ai adoré ce texte, vraiment adoré... et je suis contente d'y voir mon forgeron en bonne place ;)

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    1. merci!!! Oui, je me suis bien amusé à placer ce cher forgeron...

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